UN STYLE

André Carrara se plait à dire qu’il est venu à la photographie et plus particulièrement à la photographie de mode par amour des femmes, et il est vrai que pendant plus de 40 ans il n’a eu de cesse de célébrer La Femme. Il a déclamé son ode au fil des pages de Vogue, Elle, Marie-Claire, Marie-Claire bis, Glamour, Mademoiselle, Madame Figaro, dont il fut un des plus proches collaborateurs.

L’homme est discret et fait preuve d’humilité. Pourtant ses photographies ont fait le tour du monde, diffusées à des milliers d’exemplaires dans les plus grands magazines de mode en France comme à l’étranger.

Tantôt en noir et blanc, tantôt en couleur, aux quatre coins du monde, sous toutes les latitudes, André Carrara construit ses sujets en amoureux du 7ème art. Les références cinématographiques sont nombreuses. A l’instar de Rosselini, Bergman ou Bunuel qui dans Stromboli, Personna, Belle de Jour...ont magnifié leurs muses, et auxquels il rend hommage dans de magnifiques clichés directement inspirés de scènes de ces films, André Carrara livre de beaux portraits de femme, il invente une histoire qu’il déroule dans chacun de ses reportages, cherche un décor, pose un climat, choisit sa femme, son héroïne, conçoit ses mises en scène. L’unité doit être parfaite, elle est essentielle pour rendre l’atmosphère fugitive d’un instant, le miracle d’une lumière unique.

Au bord d’une plage déserte, une femme vient de sortir de l’eau, elle a froid et son corps tremble légèrement. Elle ne se sèche pas. Sous l’objectif distancié du photographe, elle parait fragile et vulnérable. Un peu plus tôt elle paressait assise
surle rebord d’un bateau, le visage dissimulé sous un chapeau blanc à larges bords, les jambes tendues et les pieds comme sur des pointes pénétrant délicatement dans l’eau. La silhouette, fine et délicate se détache avec netteté dans la chaude lumière du sud. Les formes sont épurées, le style est naturel et l’épreuve en noir et blanc, magnifique, n’est pas sans évoquer l’esthétique des photographies de mode qu’André Carrara apprécie signées Martin Munkacsi, Jacques Henri Lartigue ou Henry Clark par exemple.

La force et la beauté des épreuves d’André Carrara est à trouver dans cette subtile rencontre entre l’instantanéité et la maitrise du hasard convoqué. Si la photographie est minutieusement préparée et mise en scène, elle parait cependant laisser une grande place à l’instant, au naturel. Le hasard est attendu et intégré comme dans cette photographie prise dans une ruelle de Marrakech. Une jeune fille en jogging marche rapidement, tête baissée. Au premier plan, un enfant pénètre dans le cadre alors qu’un cycliste s’enfonce dans l’image. Le résultat : un style presque documentaire, une photographie qui s’échappe d’un genre ou l’on voudrait la cantonner. Même impression avec une photographie parisienne, prise rue Servandoni par temps de pluie. Ici André Carrara opte pour le noir et blanc. Serrée dans sa veste en cuir trempée, les cheveux ruisselants, une jeune femme s’avance, les mains dans les poches, elle est légèrement contractée, le buste penché vers l’avant, elle est sans fard, et se livre à l’objectif avec franchise et décontraction.

Autre atmosphère, autre lieu, dans l’île de Faro, havre de paix sauvage si cher à Ingmar Bergman, le cadre se fait large pour célébrer le calme exceptionnel d’un paysage originel. Sur un chemin de
pierre qui dessine une longue diagonale, une jeune femme, fantôme de Liv Ulmann, chignon savamment négligé, tenue aux couleurs automnales, se promène d’un pas léger.

Dans la lumière froide d’une fin d’après midi d’automne qui fait se détacher si nettement la ligne d’horizon, la jeune femme, de dos, se fond en douceur dans le paysage. L’harmonie chromatique des couleurs saturées célèbre ici la nature originelle et l’osmose entre cette nature et la femme qui s’y perd.

A Palerme, l’histoire est différente, la série plus théâtrale. Dans les ruelles de la cité sicilienne, sous le soleil brulant, se joue une autre histoire. L’héroïne est une jeune séductrice aux formes parfaites moulée dans une robe fourreau. Elle déambule dans les rues, sa démarche est assurée, son pas alerte et son corps fin et dynamique.

Souvent jeunes, fraiches, les femmes qui habitent les clichés d’André Carrara ne sont pas nécessairement des mannequins choisies en agence mais des jeunes femmes rencontrées qui posent pour la première fois devant un objectif. Le résultat est là. Par delà les mises en scène, que les plans soient larges ou rapprochés, le photographe cherche à capter le moment de grâce, celui ou la femme semble, un bref instant, oublier l’objectif, la commande, la mise en scène et le rôle à jouer, pour se livrer dans de plus intimes portraits.

Isabelle Cécile Le Mée

A STYLE

André Carrara likes to say that he came to photography, and more particularly to fashion photography, out of love for women. And it is true that during more than 40 years he never ceased to celebrate “La Femme”. He declaimed his ode throughout the pages of Vogue, Elle, Marie-Claire, Marie-Claire bis, Glamour, Mademoiselle, Madame Figaro, to which he was one of the closest collaborators.

He is a discreet and humble man. However his photographs went around the world, thousands of copies of which were published in the greatest fashion magazines, in France as in other countries.

Sometimes in black and white, sometimes in colour, to the four corners and in every part of the world, André Carrara builds up his subjects like a movie lover. Cinematic references abound in his work. In the manner of Rosselini, Bergman or Bunuel, who magnified their muses in Stromboli, Personna, Belle de Jour..., and to whom he pays tribute in wonderful pictures directly inspired from the scenes of these movies, André Carrara gives beautiful women portraits, making up a story he unfolds in each of his reports, looking for a scenery, setting an atmosphere, choosing his woman, his heroine, imagining his mises-en-scene. The unity must be perfect, as it is essential to capture the passing atmosphere of a moment, the miracle of a unique light.

On the deserted seashore, a woman just comes out of the water; she is cold and her body shakes slightly. She does not dry herself. In the detached camera of the photographer, she seems fragile
and vulnerable. A few moments before she seemed to be sitting on the edge of a boat, her face hidden under a white wide-brimmed hat, her legs stretched and her feet as if on pointe, delicately entering the water. Her silhouette, slim and delicate, clearly stands out in the warm south light. Shapes are refined, the style is natural and the black and white proof, which is beautiful, reminds of the aesthetic of the fashion photos André Carrara loves, e.g. by Martin Munkacsi, Jacques Henri Lartigue or Henry Clark.

The strength and beauty of André Carrara’s proofs lie in the subtle meeting between the instantaneity and mastery of invited chance. Whereas the photography is carefully prepared and presented, it does not seem to leave much space to the moment, to nature. The chance is expected and integrated just like in this photography taken in an alleyway of Marrakech. A young girl wearing a sweat suit is walking fast, her head lowered. At the foreground, a child enters the frame when a cyclist goes deeper into the picture. The result is a style close to documentary, a photography escaping from a genre in which one would like to restrict it. The same impression is given in a Parisian photography taken in the street Servandoni in rainy weather. This time, André Carrara chooses black and white. Tighten in a soaked leather jacket, her hair dripping, a young woman is moving forward, her hands in her pockets; she is slightly tense, her chest bent forward, she is natural and gives herself up to the camera in a sincere and casual attitude.

Another atmosphere, another place; on Faro Island, a wild haven of peace so dear to Ingmar Bergman, the frame is wider to celebrate the exceptional calm of an original landscape. On a
stone path drawing a long diagonal, a young woman, Liv Ulmann’s ghost, her bun carefully unkempt, wearing autumn-coloured clothes, is walking around lightly. In the cold light of a late fall afternoon making the skyline stand out so clearly, the young woman, seen from the back, blends in with the landscape. In this picture, the chromatic harmony of saturated colours celebrates the original nature and the osmosis between nature and the woman losing herself in it.

In Palermo, the story is different; the series is more theatrical. In the alleyways of the Sicilian town, under the burning sun, another story is shown. The heroine is a young seductress wearing a skin-tight sheath dress hugging her perfect figure. She is walking around the streets with determination, with a sprightly step, and her body is slim and dynamic.

Often young and fresh, the women within André Carrara’s photos are not necessarily models taken in an agency but young women encountered in the street who pose for the first time in front of a camera. And here is the result. Beyond the mises-en-scene, no matter if it is a wide-angle view or a medium close-up, the photographer tries to capture the moment of grace, the one when the woman, for a short instant, seems to forget the camera, the commission, the mise-en-scene and the role she has to play, giving herself up in more intimate portraits.

Isabelle Cécile Le Mée